(c) 2. **** À propos du sport cycliste. Introduction.
Du cyclisme....au cyclotourisme.
Histoire d'une mutation.
No 1 d'une série d'articles sur ma pratique du vélo.
La suite...est à venir à raison d'un volet par semaine .....si cela vous intéresse d'en connaître les lendemains......!
En 1962
Le vélo, j'en fais régulièrement depuis l’âge de douze ans. Comme il se disait familièrement, je savais en faire avant, mais ma pratique était occasionnelle, sur une bicyclette bien trop grande pour moi, prêtée par un voisin. Quant à un vélo personnel, il me faudra attendre que les conditions économiques de ma famille en permette l'acquisition. La priorité, pour ce type d'achat, était réservée aux adultes. Dans ces années là, mes parents, eux mêmes, n'avaient que ce moyen de locomotion pour se déplacer.
Pour ce qui me concerne, la faveur me fut faite à cette période de la vie d'un enfant, où par devoir, par conviction, s'organisait autour de lui une fête associée à sa communion solennelle. Il était, dans les débuts de 1950, période à laquelle je fais référence, l'usage d'offrir au communiant son premier cadeau d'adulte. Le vélo ou la montre en tenaient la primeur.
Le mien m'a été acheté d'occasion. Il fut, malgré tout, dans ce domaine, le plus important de mes biens. C'était un Alcyon. Il arborait en bonne place, sur son cadre, les couleurs de l’arc-en-ciel, grâce en particulier à un Français du nom de Speicher. Ce signe le distinguait des autres marques de constructeurs. Il était bleu, couleur favorite de son fabriquant. Il s’agissait de ce que l’on appelait un demi-course. Un modèle entre le vélo dit à commissions et le racé. Celui digne des pelotons aux maillots multicolores ne sera en ma possession que bien plus tard.
Vélo dit: Demi-course. Photo empruntée.
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Georges Speicher est né le 8 juin 1907 à Paris et mort le 24 janvier 1978 à Maison Laffitte. Il a notamment remporté le Tour de France 1934, et le championnat du monde sur route la même année, sur un vélo Alcyon. Plus tard, en 1948 et 1950, toujours sur Alcyon, d'autres titres furent gagnés par le Belge Albéric Schotte.
Photos empruntées. Album du Net.
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Au regard de ce qui est offert aujourd'hui aux enfants, mon cadeau fait évidemment dérisoire. Et pourtant!
En premier lieu, et bien que cela puisse paraître ridicule aux yeux du monde moderne, ce vélo m’ouvrit à un sentiment de richesse. Rouler à vélo me démarquait de ceux qui allaient à pied. Cette situation me donnait le sentiment d'être moins pauvre ! Pour cette époque, et dans le milieu dans lequel je vivais, cette acquisition me distingua au regard de certains de mes camarades. De plus, il me donna accès à la liberté de pouvoir aller et venir à une vitesse que je comparais, sans complexe, à celle du vent. J’étais fier de ma monture. La bichonner me donnait l'occasion de passer des moments agréables en sa compagnie. Lui offrir de mon temps venait en récompense du plaisir qu'elle m'apportait.
Ma pratique d’alors, s’exerçait dans une routine en relation avec mon quotidien. Pour ce qui, plus tard, concernera celle touchant à un aspect spécifique à la compétition, il me faudra attendre d'avoir les moyens de donner à ce vélo tous usages, une allure sportive.
Il me servait pour aller à l'école. À aller chercher le lait dans une ferme située à quelques kilomètres de chez nous. Afin d'en profiter davantage, à l'occasion, et sans savoir en doser la fréquence, je prétextais auprès de mon Père des devoirs à apporter à un camarade malade. Me balader avec celui qui devenait mon faire-valoir, mon complice, m'apportait un plaisir jusque là inconnu, au point de m'entraîner, parfois, à en oublier l'heure de devoir rentrer à la maison au moment convenu avec mes parents. Dans un tout autre registre, le rythme inhabituel des visites que je rendais à ma grand-mère fut subitement rapproché, qu'il devint suspect aux yeux de mon père. Tout prétexte était mis en avant pour justifier l'utilisation de ce vélo que je couvais comme un trésor.
Le vélo-loisir devait se négocier avec mon Père. Son autorisation était soumise à des conditions strictes. Mes notes scolaires ne devaient pas être inférieures à celui du niveau de la moyenne. Mon comportement à la maison ne devait pas faire l’objet de remarques répréhensibles. Une liste de menus travaux à accomplir tout au long de la semaine, venait en compléter la règle. Préparer le bois pour la cuisinière, arroser le potager étaient les clauses d'un contrat où en déroger, entraînait à la sanction suprême !
Mon vélo se retrouvait alors suspendu par la roue avant à la poutre d'un local servant de débarras. Je trouvais la sanction de mon Père dure. À la fois à mon égard et pour mon vélo abandonné à la poussière et subissant les agressions des araignées et autres bestioles qui en habitaient les lieux!
La limitation de son utilisation étaient également liée à la notion d'économie. Les pneus, en particulier, représentaient un coût important pour le salaire de mon Père. Je précise que nous étions à la sortie de la guerre de 39/44 et que certains accessoires s'achetaient encore au marché noir, donc très chèrement.
Je résume là, sommairement, une approche de ce que fut l'environnement de ma découverte de la pratique de la bicyclette.
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Au fil des années et après quelques aménagements concernant en particulier le retrait de certains accessoires, comme l’éclairage, les garde-boue et le timbre avertisseur, mon vélo finit par ressembler à un coursier. Je dis bien ressembler, car son allure restait encore lointaine de celui que possédait mes camarades dont les parents étaient riches.
1962. Mon ami René, mon ''arrangeur'' vélo. Il est celui avec qui j'ai fait mon premier Ventoux.
C’est alors, mais sans complexe, que naquit en moi cet esprit qui pousse à vouloir se prouver que l’on peut rivaliser avec ses semblables. Où la condition sociale n'est plus le handicap majeur. Où le mérite, n'est pas qu'une question d'apparence. Pour le plaisir, pour le jeu, pour la course, je m'alignais pour les rassemblements que les villages organisaient à l'occasion de leurs fêtes votives. Je devenais coureurs durant la saison des beaux jours !
Cependant, ne cherchez pas mon nom dans le palmarès des meilleurs, je n’y ai jamais figuré. L'important pour moi se nichait au niveau du statut. Participer m'élevait au rang de tous. Il n'y avait plus de Dupont de Lagrange ou dés je ne sait qui de fanfarons dans leur vie bien rangée. Là, ils étaient devenus anonymes. Ils n'étaient que des dossards, comme moi.
1954: Un vélo semblable au mien, une fois qu'il fut dépouillé de ses accessoires. Photo empruntée.
J’ai aimé ce qui se passait autour de la ligne blanche, symbole visé par bon nombre de concurrents comme fantasme de l’instant de gloire si longtemps espérée. Pour ma part, je limitais mon ambition à vouloir la franchir honorablement. L'agilité dont il fallait savoir user pour se ranger au plus prés du trait de départ, me donnait sur quelques kilomètres, l’occasion de frotter avec les meilleurs. Dans le peloton, je savais me faufiler, me mettre à l’abri, trouver ma place dans un trou de souris. L'adresse dont je me sentais habité, me donnait cette audace que d'autres n'osaient pas. Ainsi je roulais entourés d'une ambiance dont le plaisir n'a de définition que pour celui qui en a vécu la pratique. J’aimais ce type de dépense physique, où l'esprit et le corps jouent à celui qui restera le maître du jeu. Celui qui vous aura conduit au bout de l'effort sans en chercher de récompense autre que celle d'avoir su gérer à fois son mental et ses ressources en énergie. J'ai aimé le bruit du vent dans les rayons, celui des dérailleurs aux changements de braquets.
J’aimais l’ambiance qui régnait au milieu de cet essaim grouillant. Tantôt silencieux et concentré sur l’ouvrage. Tantôt nerveux et gueulard quand il entamait la longue ligne droite annonciatrice du final. Moi, je savais ne pas être là pour la gagne, mais cela ne me frustrait pas. D’ailleurs, sur les circuits plats et sans difficulté, je savais, dés le départ, me contenter d'une place de spectateur. Pour l'ambiance, pour l’adrénaline, je savais faire l'effort pour rester dans les roues. Mince et freluquet, je n'avais pas la masse musculaire pour tirer de gros braquets, alors je me cachais derrière les costauds. À l'aspiration, protégé du vent, juqu'au moment où les prétendants à la victoire se positionnaient pour disputer le sprint. Là, je me déportais précautionneusement sur l'un des bords de la route pour ne pas les géner ou me laisser embarquer dans une situation où je n'avais pas ma place. Les forçats allaient en découdre dans une lutte qui, faute de moyen, j'en avais conscience, m'aurait écarté de leur sillage. Où la pointe de vitesse, où le dernier coup de reins, où la vitalité à pouvoir maîtriser les assauts des concurrents encore en situation de pouvoir vaincre, allaient permettre au meilleur du jour de bondir sur la ligne.
Pour moi, le scénario était écrit, je n'étais pas de taille pour me risquer dans une telle aventure. La masse des finisseurs passée, je reprenais ma place dans le peloton des suiveurs, des participants ordinaires. C'est ainsi, pour la plupart d'entre elles, que mes courses se terminaient. Il n'y avait pas de désillusion dans un déroulement qui était prévu d'avance et que j'acceptais comme étant un moyen de vivre ce pourquoi j'aimais le vélo. Je prenais mon plaisir ailleurs. Dans d'autres considérations.
Cependant, et toute proportion gardée, rapidement je figurais parmi les bons grimpeurs. J’avais pour cela un gabarit qui m’avantageait et de plus, j’aimais l’effort particulier qu’impose la côte. Une allure moins rapide, moins dangereuse, faisait de moi et dans ces conditions, un compétiteur volontaire et éveillé à la confrontation. Contrairement à ce qui peut se cacher en situation de plat, les signes montrant la difficulté à pouvoir suivre le rythme apparaissent rapidement. En montée, être dans les roues n'apporte pas de bénéfice notoire, sauf à l'exception d'un fort vent de face et encore! La route des cols se déroulant en lacets, entraînent des changements d'orientation, donc à des variantes quant à la direction des courants d'air. La recherche incessante du coureur cherchant à se recaler après chacun des virages est un signe qui marque ses limites. Des indices repérés au seul coup d’œil ou à l'oreille, donnent de précieux renseignements sur l’état de forme et sur le moral de celui qui est sur le point de décrocher. Les changements de braquets intempestifs, la brutalité des gestes portés sur les manettes des dérailleurs ne trompaient pas le filou que j'étais sur ce type de terrain. Les premières sélections, le premier écrémage se faisaient dés les faux plats annonçant les hostilités. Les objectifs de chacun se dessinant dés le pied des cols, je savais me mettre en condition. Je savais me donner les bonnes raisons de souffrir pour ce plaisir particulier que procure l'effort consenti sur un profil propice à faire valoir mes qualités.
J’ai toujours mis plus de fierté à vouloir passer un col en bonne position, qu’à risquer la chute pour défendre une place au sprint. Le prestige du grimpeur m’a longtemps habité. Je trouve encore aujourd’hui son statut plus glorieux qu’aucun autre .
À propos du sprint, j’ai une anecdote à raconter. Je disputais une course de fête votive à Bédarrides, petit village du Vaucluse. Je devais être dans un bon jour, car sans trop m’en rendre compte, je me suis trouvé dans une échappée d’une dizaine de coureurs. Dans la bonne, comme il se dit en pareil cas. Poussé à prendre un relais à quelques centaines de mètres de la ligne d’arrivée par une injonction autoritaire et peu courtoise de l’un des membres du groupe, je fus, contre toute volonté et malgré moi, mêlé dans ce que l’on appelle l’emballage final.
Ce qui m’arriva ce jour, me laissa croire à ce qui est raconté dans les fables pour enfants au sujet de ces oiseaux qui, au cours de leurs longues migrations, s’organiseraient pour soulager leurs congénères fatigués. Il est dit dans cette histoire, qu'en volant sous eux, le courant d’air ainsi généré par le battement de leurs ailes, améliore la portance des faibles, leur permettant ainsi de pouvoir rallier leur destination à bon port.
Personnellement, et dans le cas présent, je n’avais rien demandé. C’est pourtant la sensation que je vécus. En effet, et sans trop savoir pourquoi, je me suis senti soulevé, porté, happé par un souffle qui me propulsa sur la ligne en quatrième position. Place que je n’avais jamais réalisée dans ce type de circonstance !
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Pour résumer ce chapitre sur ma découverte du cyclisme, ce premier vélo me fait replonger des décennies en arrière. En fait, il représenta pour moi bien plus qu'un simple moyen de transport. Outre l'espace liberté qu'il contribua à me libérer, il me donna la possibilité de me découvrir dans ce que représente le plaisir-effort. Celui que l'on se programme. Celui que l'on s'offre au prix de la volonté mise en oeuvre pour en vivre la saveur. Pour en goûter le fruit.
1965. Dans la montée vers le Ray-Pic au départ de Burzet. (Ardéche)
Dans un tout autre domaine, tout en sachant que parler de statut est ridicule à la lecture qu'il peut se faire aujourd'hui de ce type d'apport dans la vie d'un enfant, pour ce qui a concerné sa venue dans ma vie..., du jour où j'eus ce vélo, je me sentis plus grand......
Prochainement: changement de cap.
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